Les médecins ont-ils le droit de faire de la publicité ?

Les médecins ont-ils le droit de faire de la publicité ?

Cet article a été publié sur le site Village de la Justice

La question de la publicité des médecins se pose particulièrement aujourd’hui avec le développement de la téléconsultation médicale et son explosion dans le cadre de la crise sanitaire.

La jurisprudence de l’Union européenne et celle du Conseil d’Etat semblent désormais autoriser la publicité pour les médecins.

En réalité, le changement n’est pas aussi radical qu’il n’y parait. Les médecins, comme les autres professionnels de santé, ne peuvent toujours pas faire de la publicité commerciale.

L’interdiction d’exercer la profession comme un commerce prévue à l’article R. 4127-19 du code de la santé publique demeure la règle.

1)Une ambiguïté sémantique levée par la jurisprudence européenne

A) L’ambiguïté sémantique et la position du CNOM

En français, la notion de « publicité » est entendue au sens strict de publicité dite « commerciale », c’est-à-dire qui vise à promouvoir le praticien ou sa prestation afin d’inciter le patient à y avoir recours, au même titre que s’il s’agissait d’un bien ou d’un service marchand ayant vocation à capter un client.

En cela, la notion de « publicité » en droit français se rapproche donc de la notion de « pratique commerciale » en droit de l’Union européenne qui définit « toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d’un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs »[1].

Est exclue de cette notion la publicité purement « informative » qui se borne à indiquer les caractéristiques objectives du praticien ou de son activité, comme son curriculum vitae ou ses coordonnées ; celle-ci ne constituant pas une « publicité » au sens du droit français.

A l’inverse, une acception de la publicité au sens large – qui est celle retenue par le droit de l’Union européenne – vise toute forme de publicité, qu’elle soit commerciale ou purement informative.

Selon cette acception, interdire la publicité de façon générale a pour conséquence d’interdire tant la publicité commerciale que la publicité informative.

D’après l’interprétation du Conseil national de l’Ordre des médecins, seule la publicité commerciale est proscrite déontologiquement en vertu de la règle selon laquelle ceux-ci ne peuvent exercer la profession « comme un commerce ». [2]

 En effet, en français, la notion de publicité est moins large que dans d’autres langues et ne recouvre que la publicité commerciale.

Une interdiction générale de la publicité n’a jamais existé en ce qu’il n’a jamais été interdit aux médecins de se faire connaître à travers une communication objective sur leur activité, notamment à travers un site Internet comportant des informations purement informatives comme leurs nom et prénom, curriculum vitae, éventuelles spécialités, cordonnées et contact.

Sur ce point, la jurisprudence disciplinaire de l’Ordre des médecins est sans équivoque. Un médecin peut parfaitement posséder un site internet dès lors que les propos qui y sont tenus ne constituent pas de la publicité commerciale[3]. A l’inverse, sont sanctionnés les médecins disposant d’un site internet dont le contenu ne serait pas conforme aux règles déontologiques parce que s’analysant en un exercice « comme un commerce » de la profession[4].

B) La jurisprudence de l’Union européenne et le Conseil d’Etat

La publicité n’a pas le même sens en droit de l’Union européenne.

 C’est parce qu’un dentiste belge était interdit par la législation de son pays de disposer d’un site internet « destiné à informer les patients des différents types de traitement » réalisés au sein de son cabinet – donc à vocation purement informative –, que la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a jugé qu’il s’agissait là d’une interdiction générale et absolue de toute publicité, contraire au droit de l’Union Européenne, plus précisément à la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieure, dite « directive sur le commerce électronique »[5].

Au sens de la directive sur le commerce électronique, la communication via un site internet est une « communication commerciale ». Dès lors, les autorités nationales compétentes sont encouragées à élaborer des « codes de conduite ayant pour objet (…) de préciser les informations qui peuvent être données à des fins de communications commerciales dans le respect (des) règles professionnelles »[6].

Selon l’avocat général dans cette affaire, il appartient au juge national d’apprécier si la communication du professionnel de santé sort du cadre de cette limite, en d’autres termes, s’il s’agit d’une communication commerciale, visant à attirer de nouveaux patients, ou bien d’une communication purement informative, ayant pour seul but de se faire connaître du public au moyen de données objectives[7].

Le but d’une telle distinction entre communication commerciale et communication informative est de préserver le lien de confiance qui doit exister entre le patient et le professionnel de santé. Le recours à des prestations de soins ne répondant jamais à une envie mais à un besoin, le patient doit avoir l’assurance que le professionnel de santé qui lui conseille de recourir à une prestation donnée est motivé, non pas par l’appât du gain, mais par la seule protection de sa santé. Si le professionnel de santé était autorisé à recourir à une communication commerciale sur son activité, le patient aurait, dès lors, un doute quant à cette motivation – s’enrichir ou soigner ? – et le lien de confiance serait brisé, sinon dégradé[8].

Dans ses conclusions, l’avocat général met en évidence la nécessité de permettre aux professionnels de santé de communiquer sur des éléments permettant au public d’« avoir connaissance de leur existence », que le public « puisse connaître l’identité du prestataire, personne physique ou morale, les prestations qu’il est en droit d’exercer, le lieu où il les exerce, les heures de consultations ainsi que les moyens d’entrer en contact avec lui, tels que des numéros de téléphone et de fax ou une adresse internet »[9].

En d’autres termes, le professionnel de santé doit pouvoir communiquer sur des éléments objectifs permettant au public d’avoir connaissance de son existence, de ses activités, des moyens de le contacter, sans qu’une telle communication ne soit considérée comme un exercice comme un commerce de la profession.

 Une telle analyse est conforme à celle de de l’Ordre des médecins et à la jurisprudence interne.

Pour autant, alors même que l’acception stricte de la publicité en droit interne était déjà conforme à la jurisprudence de l’Union européenne, le Conseil d’Etat, par une décision n°416948 en date du 6 novembre 2019, a tiré les conséquences de l’arrêt Vanderborght en annulant le refus de la ministre des solidarités et de la santé d’abroger le second alinéa de l’article R. 4127-19 du code de la santé publique aux termes duquel « Sont interdits tous procédés directs ou indirects de publicité ».

Le décret du 22 décembre 2020 entérine la suppression de ce second alinéa. Toutefois, le premier alinéa de l’article R. 4127-19 du code de la santé publique subsiste, et par là-même, le principe selon lequel l’exercice comme un commerce de la profession est interdit, comme il a été jugé, à de multiples reprises, par le juge interne.

 2) La jurisprudence de l’Union européenne a incité l’Ordre des médecins et la jurisprudence nationale à préciser les règles applicables

 A) Un changement de texte a conduit l’Ordre des médecins à modifier les commentaires du code de déontologie

 Le décret du 22 décembre 2020 constitue essentiellement une mise à jour sémantique.

Si le terme « publicité » est supprimé des textes, l’exercice comme un commerce de la profession, visé à l’alinéa premier de l’article R. 4127-19, demeure interdit.

Ainsi, les articles R.4127-13 et R.4127-20 du code de la santé publique qui encadrent l’information du public ainsi que l’usage du nom du médecin demeurent applicables avec un léger changement de vocabulaire.

A l’article R. 4127-13, alors que le médecin devait, jusqu’ici, « se garder (à l’occasion d’une action d’information du public de caractère éducatif et sanitaire) de toute attitude publicitaire », désormais « (celui-ci) ne vise pas à tirer profit de son intervention ».

On retrouve là la dimension commerciale de l’acception stricte de la publicité. La publicité est nécessairement commerciale en ce qu’elle recherche la réalisation d’un profit.

Quant à l’article R. 4127-20, il exige, désormais, que le médecin ne tolère pas que les organismes où il exerce ou auxquels il prête son concours utilisent son nom ou son activité professionnelle « à des fins commerciales » plutôt qu’« à des fins publicitaires ».

Le terme « publicitaire » apparait ainsi comme un synonyme de « commercial ».

Le changement apparait donc purement sémantique.

Malgré tout, cela a été l’occasion, pour le Conseil national de l’Ordre des médecins, de préciser la communication que le médecin est autorisé à faire concernant son parcours professionnel et l’organisation de son activité ainsi que ses conditions d’exercice.

Ainsi, le médecin est autorisé à diffuser :

  • Sa photographie ;
  • Son âge, sa date de naissance et, le cas échéant, son lieu de naissance ;
  • Son numéro d’inscription à l’Ordre des médecins et autres éléments d’identification ;
  • Les dates, lieu et établissement universitaire de délivrance des diplômes ouvrant droit à l’exercice, éventuellement les stages réalisés pendant la formation ;
  • Le déroulement de sa vie professionnelle : principaux lieux où il a exercé, les fonctions assurées (fonctions hospitalo-universitaires…), les postes occupés ou titres, les expériences à l’étranger ;
  • Les missions qui ont pu lui être confiées ;
  • Les publications réalisées dans des conditions conformes aux standards scientifiques ;
  • Les langues étrangères parlées ou comprises ;
  • L’adhésion à une société savante ;
  • Les distinctions honorifiques reconnues par la République française.

Par ailleurs, le médecin doit donner des informations précises sur les diverses conditions pratiques, professionnelles et économiques de son exercice, telles que :

  • Son adresse d’exercice et conditions d’accès ;
  • Les jours et horaires d’exercice ;
  • S’il propose des téléconsultations et visites à domicile ;
  • Les modalités de prises de rendez-vous ;
  • S’il exerce en libéral, il doit préciser le secteur conventionnel pour lequel il a opté et ce qui en résulte, les honoraires qu’il pratique habituellement et les modes de paiement acceptés[10].

B) Télémédecine et jurisprudence interne

L’Ordre des médecins a également précisé sa position en matière de communication dans le domaine de la télémédecine.

Il arrive, en effet, que les plateformes de télémédecine recourent à des procédés commerciaux non conformes à la déontologie médicale, avec pour conséquence de placer leurs médecins partenaires en situation d’illégalité vis-à-vis de leur Ordre, en ce qu’ils sont amenés à méconnaître leurs obligations déontologiques du fait de leur seule présence sur la plateforme.

A cet égard, l’Ordre des médecins invite, dans ses commentaires du code de déontologie médicale, à la vigilance du médecin et à ce que celui-ci s’enquiert préalablement auprès de l’Ordre de la conformité de la plateforme avec la déontologie médicale.

Il rappelle que, sur ce type de plateforme, « La téléconsultation peut alors facilement dériver vers un bien de consommation mis en vente sur une plateforme commerciale »[11].

Même à son insu, le médecin partenaire de ce type de plateforme peut bénéficier d’une communication commerciale interdite par le code de déontologie médicale.

De façon générale, conformément à sa pratique existante, le juge interne continue d’analyser la notion de publicité au sens strict de publicité commerciale, en appréciant, au cas par cas, si la communication litigieuse est une communication commerciale, révélant un exercice « comme un commerce » de la profession, en ce que le mis en cause entend, par cette communication, attirer de nouveaux clients/patients.

En effet, avant même la mise à jour sémantique opérée par le décret du 22 décembre 2020, dans une affaire concernant des publicités réalisées par la société GROUPON au profit de prestations médicales, la Cour de cassation relève, dans une décision du 12 décembre 2018, le caractère « particulièrement attractif » des commentaires destinés à valoriser la prestation médicale, et donc à « promouvoir les produits et prestations offerts à la vente ». Par conséquent la Cour de cassation considère que le caractère publicitaire commercial des publications portant sur des prestations médicales porte atteinte à la collectivité des médecins et à leur image, en assimilant leur profession à une activité commerciale, en infraction avec le code de déontologie médicale[12].

Postérieurement à l’arrêt Vanderborght, dans le prolongement de la pratique existant en droit interne, dans un jugement du 12 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Paris rappelle le maintien et la pertinence, en l’espèce, du premier alinéa de l’article R. 4127-19 du code de la santé publique interdisant l’exercice comme un commerce de la profession, pour juger que, « si toute publicité ne peut être interdite aux médecins ou relativement à des prestations médicales, la publicité dont s’agit, ne peut conduire à envisager ces prestations médicales comme réalisées dans l’unique but d’en tirer profit, ou autrement dit, en assimilant les prestations médicales à un commerce ».

En l’espèce, le tribunal relève que constitue une pratique de la médecine comme un commerce la publicité consistant en une annonce radiophonique sous la forme de spots diffusés sur un média de masse deux à treize fois par jour pendant une semaine, mettant en avant l’accès à une ordonnance médicale gratuite, depuis le lieu de travail, et étant suivis d’une offre promotionnelle pour l’adhésion à un contrat[13].

Dans le même sens, le tribunal judiciaire de Paris, dans un jugement du 11 février 2021, rappelle que le premier alinéa de l’article R. 4127-19 du code de la santé publique interdit l’exercice comme un commerce de la profession, pour juger que constitue une pratique de la médecine comme un commerce, la mise en place, par une plateforme de télémédecine, d’un panneau publicitaire installé sur la partie supérieure d’un immeuble, sur une hauteur de plus de quatre étages représentant une surface de 172m², situé à l’aplomb du boulevard périphérique particulièrement visible des usagers[14].

En d’autres termes, alors même que le second alinéa de l’article R. 4127-19 du code de la santé publique a disparu, le juge interne continue de sanctionner la publicité commerciale, donc l’exercice comme un commerce de la profession, sur le fondement du premier alinéa du même article.

Dans un jugement du 6 novembre 2020, le juge des référés, statuant en formation collégiale, relève les agissements contraires à la déontologie d’un site internet vantant la possibilité d’obtenir rapidement et gratuitement en ligne un arrêt maladie.

Sans évoquer pour autant expressément l’exercice « commercial » de la profession, le juge retient des éléments propres à méconnaître la déontologie en lien avec celui-ci. Ainsi, il note que « Les médecins apparaissent dans ce cadre soumis à un impératif de rentabilité et d’examen superficiel » ; « Ajouté à la célérité de la consultation, à l’impératif de rentabilité, et au caractère erratique de la consultation, ce mode de rémunération contrevient aux principes de liberté d’exercice et de l’indépendance professionnelle et morale des médecins ainsi qu’aux principes déontologiques fondamentaux que sont la liberté de prescription du médecin et le paiement direct des honoraires par le malade »[15].

***

Il apparaît donc que le décret du 22 décembre 2020 n’entraîne pas un bouleversement de la pratique des médecins, lesquels demeurent soumis à une interdiction d’exercer la profession comme un commerce, et en cela, de recourir à une publicité commerciale.

A tout le moins, le décret du 22 décembre 2020 opère une mise à jour sémantique des textes et donne l’occasion à l’Ordre des médecins de préciser son interprétation de l’interdiction d’exercer la profession comme un commerce.

A cet égard, Internet est un terrain glissant pour les médecins, qui doivent s’assurer que les hébergeurs des sites sur lesquels ils apparaissent ne les incitent pas, directement ou indirectement, par leurs modalités de présentation ou de fonctionnement, à méconnaître la déontologie médicale.

Le décret du 22 décembre 2020 ne constitue donc pas une ouverture généralisée des médecins au recours à la publicité, mais une simple mise en conformité des textes avec le vocabulaire des traités de l’Union européenne.

Jérôme CAYOL et Hélène LOR

Avocats

[1] Arrêt du 9 novembre 2010, Mediaprint Zeitungs- und Zeitschriftenverlag, C-540/08, EU:C:2010:660, point 17.

[2] Pour les médecins, article R. 4127-19 du code de la santé publique.

[3] CDN, 22 mars 2011, Dr Jean-Albert AMAR, n°10643 ; CDN, 10 juin 2015, Dr Alain PLAUT, n°12323.

[4] CDN, 13 septembre 2016, Dr Albertine MARCHATIER, n°12613 ; CDN 17 février 2016, Dr Martial BEN HAMOU, n°11980-12818.

[5] Arrêt du 4 mai 2017, Luc Vanderborght, C-339/15, point 50.

[6] V. point 45 de l’arrêt précité.

[7] V. point 117 des conclusions de l’avocat général dans l’arrêt précité.

[8] V. points 59 et 68 de l’arrêt ; point 100 des conclusions de l’avocat général dans l’arrêt précité.

[9] V. point 116 des conclusions de l’avocat général dans l’arrêt précité.

[10] CNOM, « Recommandations du Conseil national de l’Ordre des médecins sur les informations susceptibles d’être portées à la connaissance du public par les médecins ».

[11] Commentaires sous les articles R. 4127-19, point 3.3 et R.4127-20, point 2.

[12] CCass., civ. 1, 12 décembre 2018, pourvoi n°17-27.415.

[13] TJ Paris 12 novembre 2020, n° RG 19/00796

[14]  TJ Paris 11 février 2021, N°RG 19/06976

[15] TJ Paris, réf., 6 novembre 2020, n° RG 20/54799.

Partager :